Après Les Chroniques de Sadwick et A New Beginning, les développeurs allemands de Daedalic Entertainment nous proposent leur nouveau Point & Click 2D annuel. Cette fois, il s'appelle Deponia, sorte de déclaration d'amour du studio aux productions LucasArts d'antan, qui allie visuel cartoonesque savoureux, univers gorgé d'humour, et mécaniques de jeu absurdes. Une recette qui ne manquera pas de faire plaisir aux fans du genre. Et les autres ?
Mais que m'est-il passé par la tête, lorsque j’ai accepté le test de Deponia. Tout allait bien. Mon esprit était serein, fonctionnait à peu près correctement, de façon logique du moins. Le voilà à présent détraqué, retourné. Moi qui m'attendait à un Point & Click sympathique, plutôt marrant, au visuel chatoyant, me suis retrouvé face à l'un de ces jeux sadiques, aux situations absurdes au possible, dénuées de toutes logiques humaines, conçues par les imaginations malveillantes de développeurs frustrés. OK, je force peut-être un poil le trait, mais ne me jugez pas trop vite, assurément, lorsque vous vous confronterez aux problèmes totalement perchés de Deponia, vous penserez comme moi.
Récit d'un esprit tout retourné

Deponia possède deux facettes. Celle, agréable, du jeu extrêmement drôle. Et celle, moins reluisante et déjà abordée il y a quelques instants, du titre ultimement énervant. Abordons pleinement le premier de ces cotés. Son ingrédient principal: son personnage principal. Prénommé Rufus, celui-ci n'a rien du héros habituel, quel que soit le média dont on parle. Rufus, est au choix un raté fini, ou un génie incompris. Ses concitoyens, eux, ont choisis. Tantôt méprisé par ses pairs, dont son ex-petite amie, chez qui il vit toujours, incapable de se trouver nouveau toit ; tantôt détesté par les autres, en cause les catastrophes qu'il provoque à répétition. Non sans raison, le bougre – à l'égo sur-dimensionné, soit dit en passant – a un objectif : quitter Deponia, cette ville emplie de détritus, et rejoindre la luxueuse cité Elysium, située dans le ciel. Toute sa vie, il l'aura consacrée à la confection d'invention, qui lui permettrait de réaliser son chimérique projet. Jusqu'alors infructueuses, ses recherches ont finalement abouties. Mais malheur, à peine arrivé, sa malchance habituelle le rattrape. Rechute. Retour à la situation initiale. Enfin, pas tout à fait. Dans son malheur, est entraîné Goal, sublime résidente du monde d'en haut. S'en suivra de nombreuses péripéties, qui iront du futile au primordiale.

Un pitch, somme toute original. Dont les divers tenants, peinent malheureusement à emporter. L'on a du mal à accrocher, et c'est bien vite que l'on aurait laisser tomber, si les personnages n'avaient été aussi attachants, aussi haut en couleur, au service de dialogue délicieux. Oui, le scénario n'est pas des plus impressionnant, mais l'humour dont regorge chaque répliques, et au-delà de ça, chaque détail de l'univers, force le respect, et fait mouche la plupart du temps. Véritablement, tout est prétexte à l'humour dans Deponia. En perspective, s'allient et s’enchaînent avec délice échanges surréalistes, traits d'esprit cyniques de Rufus, et ridicule absolu des situations ; le résultat est détonnant. Plus savoureux encore, les développeurs n'hésitent pas à se moquer ouvertement des codes du genre de leur titre, et jouent, à la fois avec et du joueur, le pseudo didacticiel d'introduction nous le fait comprendre dès le départ : Deponia s’adresse aux joueurs rompus à l’exercice du Point & Click, à même de saisir les références et l'ironie qui se cachent derrière certaines situations.
Toi qui entre ici, abandonne toute logique

Exit les béotiens du genre donc ? La facilité de prise en main nous indiquerait – faussement – le contraire. On dirige notre héros dans différents tableau, au level design 2D, par le biais de notre souris. De la même façon, on interagie avec les décors, certains des objets qui composent ce dernier, et les personnages, par l'usage des clics droits et gauches. Détailler plus serait bien mal vous considérer. Spécificité de jeu inhabituelle : dérouler son inventaire grâce à la mollette de sa souris. Pratique. Inventaire à l'intérieur duquel on place diverses objets, clés ou non, récupérés un peu partout, qui nous serviront à résoudre la masse de problèmes et d'énigmes que l'on rencontre. On en arrive au cœur de Deponia, son sel. Venir à bout de situation plus ou moins complexes, à tous les coups absurdes.
On peut ainsi les classer en trois catégories, chacune affectées d'un exemple et d'un pourcentage. La première : une information se cache derrière un pare-brise sale. Il faut le nettoyer. On dispose d'une éponge, et on se souvient qu'un marmite d'eaux chaudes est à proximité dans un autre tableau. La solution est triviale. Ce sont « les aisément ré solvables », les classiques, propices à l'entendement humain, qui ne nécessite qu'un court temps de réflexion, bien qu'elles soient moins évidentes quand imbriqués dans d'autres. Pourcentage : pas plus de dix pour-cents. La deuxième catégorie : besoin de sang de taureau – ne me demandez pas pourquoi –, il s'en trouve un, mécanique, à l'entrée de la ville. Il faut l'exciter, et l'énerver, pour que ses réserves se remplissent. Vous disposez d'un drap rouge, et d'une affiche ornée d'une vache. Cela semble évident ? Ca ne l'est pas tout à fait, car n'oubliez pas que le taureau est en métal, et que le tissu et l'affiche ont été récupérés il y a longtemps. Voilà pour la deuxième catégorie, composée de situation un rien plus corsée, bien plus absurde, mais on reste dans le registre du réalisable. Pourcentage : trente pour-cents.

Enfin, la troisième : il vous faut votre brosse à dent. Mais celle-ci s'est sauvée dès qu'elle vous a vu – si, si, je vous assure – et s'est réfugiée dans un coin sombre. Là, on réfléchit. Pas bien compliqué. On use d'ustensile logique en notre possession. Rien ne fonctionne. On fouille les lieux, peut-être la clé de l'affaire nous aurait échappée. Toujours rien. Perte de patience. On finit par tenter d'assembler tous les objets de notre inventaire les uns avec les autres, sans logique aucune. Puis, on trouve. Associer des pois, avec un piège à souris, et le placer dans le coin sombre. Logique. Ceci est une situation typique, de la troisième catégorie. La plus tyrannique, la plus impitoyable. Celle qui va vous faire perdre vos cheveux – car vous vous les arracherez. Pourcentage : Soixante pour-cent. Pas de quoi vous impressionnez ? Sachez que les exemples sus-usités sont tirées des énigmes les plus faciles. Mon but n'est pas de vous aider. J'ai souffert, vous aussi. Il n'y a pas de raison.
Sadisme ludique et design enchanteur

Pour sur, les habitués jubileront. Leurs longues heures passées à se triturer les méninges devant la série des Monkey Island leur seront à coup sur bénéfiques. Un paradoxe survient alors. Cette absurdité quasi-permanente, principale qualité pour les fans, devient une tare abominable pour qui ne serait pas familier de ces situations. Aucune aide n'est de plus proposée. Savoir tirer des information des personnages secondaires, et des indications des décors. Tout un art, dont le maniement manquera cruellement au non-initié. Pour les autres, bonheur – non sans prise de tête et énervement – d'environ dix heures, que ce Deponia. Et que dire du design général. Chaque tableau a été réalisé à la main. Le style cartoon sied à merveille à l'ensemble. Nonobstant l'aspect technique loin d'être exceptionnel, Deponia éblouit, sublime dessin animé interactif. L'ambiance sonore a enfin été particulièrement soignée. Les thèmes sont variés, multiplient les genres. De l'orchestral sentant bon l'aventure au funk posé illustrant les phases calmes. Mention spéciale aux doublages – uniquement anglais –, particulièrement réussis, qui finissent d'enjoliver la personnalité et le tableau global de ce Deponia. Casse-tête gorgé d'humour, à l'univers enjôleur. Délice pour les amateurs de Point & Click.
Les screenshots illustrant l'article ont été réalisés par nos soins.
Configuration de test :
Processeur : Intel Core i5 – 24 10M @ 2,3GHz
Carte Graphique : Nvidia Geforce GT540M – 1GB
Mémoire: 4GB de RAM